La notion de lien toxique

Ces quelques idées me sont venues après avoir visionné le dernier film de la réalisatrice Ursula Meier, « la ligne » dans lequel sont analysées avec une précision quasi chirurgicale les relations d’une mère, Christina, avec sa fille aînée Margaret.


Mais à ce degré de toxicité, peut-on encore parler de relation ?


Le moi se forme, nous dit Freud, par identification à l’image d’autrui, et dans sa théorie de l’attachement, le psychanalyste anglais John Bowlby a, dans ce droit fil, parfaitement relevé la nécessité pour un jeune enfant de développer une relation d’attachement avec la personne qui prend soin de lui pour connaitre un développement social et émotionnel normal ; le lien toxique est donc celui qui sera créé à contretemps, inefficace à engendrer la relation humaine et entrainant la plupart du temps angoisse, ruptures à répétition, accès de rage etc…


L’histoire débute justement par une scène d’agression physique de Margaret sur la personne de sa mère, tournée au ralenti, de manière silencieuse, avec la grâce gestuelle d’un ballet classique, laissant envisager au spectateur que la scène à laquelle il assiste n’est peut-être pas isolée tellement elle semble préparée, qu’elle n’est que la reproduction, peut-être plus grave encore, d’une relation habituelle entre les deux femmes.


Et la suite du film n’apportera que confirmation de cette réalité.


Margaret n’a effectivement pas pu se construire aux côtés d’une mère très égocentrique, et à versant psychotique manifeste, toujours hors de la réalité du monde, improvisant et interprétant sa vie et la vie des autres au gré de ses lubies et de ses envies fugitives.


Lorsque le psychanalyste WINNICOTT nous parle de « la mère suffisamment bonne », il nous parle d’une mère qui prend en charge son enfant sans être fusionnelle, permettant ainsi à ce dernier à la fois d’accéder à la sensibilité de sa mère mais aussi d’apprendre en même temps la solitude nécessaire à son évolution et à l’apprentissage de son indépendance future.


Christina reste dans son monde, pendant que Margaret ne peut qu’envisager la violence pour tenter de pénétrer dans la forteresse que sa mère lui présente ; manifestement, le lien ne s’est jamais créé entre la mère et la fille, et Margaret, à la suite de l’injonction judiciaire qui lui sera faite de ne plus approcher de la maison familiale à moins de 100 mètres, n’aura de cesse de chercher à retrouver cette mère distante qui est à la fois l’objet d’amour impossible à conquérir, et également le mauvais objet que l’on cherche malgré tout à récupérer car c’est sa propre vie psychique qui est en jeu : c’est la position schizo-paranoïde décrite par Mélanie Klein, que malheureusement Margaret n’a pas pu dépasser…


Et le plus douloureux est le jour de Noël lorsque les deux sœurs plus jeunes vont vouloir malgré tout « faire famille » et tenter de faire se rapprocher les deux femmes dans une ultime et vaine tentative de rencontre : dramatiques regards croisés filmés silencieusement et au ralenti, en miroir à l’introduction du film, entre Margaret qui reste dans l’obsession de conquérir cette mère manquante et manquée et Valérie Bruni Tedeschi (la mère) qui fige sur la caméra un magnifique regard bleu, vague et inconsistant.

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