L’adolescence et la découverte de la passion amoureuse

Le passage de la période de latence à celle de l’adolescence demeure particulièrement crucial dans l’élaboration du sentiment amoureux.

Dans ses «trois essais sur la théorie sexuelle», FREUD nous donne une première explication de ce trouble lorsqu’il assène que c’est à cette période que vont s’allier la position tendre acquise au cours de la latence et le primat de la génitalité, où toute la sensualité éparpillée dans les zones érogènes de l’enfance va se trouver concentrée sur les organes génitaux. Sigmund FREUD : Trois essais sur la théorie sexuelle – Folio Gallimard – pages 131 et 132

Mais cette explication de base, certes incontestable, n’est pas suffisante pour expliquer ce trouble de l’adolescent ; c’est que l’adolescence est marquée par un narcissisme exacerbé, un mélange d’amour et de haine au sein duquel l’adolescent va revivre, inconsciemment, les affres de l’œdipe.

L’adolescent désinvestit encore les relations parentales, comme l’enfant l’avait fait antérieurement dans sa sortie de l’œdipe, et les nouveaux objets d’amour qu’il va trouver sur sa route seront investis sur un mode passionnel avec des identifications changeantes qui peuvent engendrer l’angoisse et le manque de confiance en soi.

Comme l’observe très justement Michèle EMMANUELLI : « l’adolescence conflictualise en effet les deux courants qui, depuis l’enfance, participent à la construction de la personnalité : celui du narcissisme et celui des relations objectales. » – Michèle EMMANUELLI: L’adolescence – collection Que Sais-je ? page 80

Si la découverte de l’objet d’amour n’est donc qu’une répétition constante de la perte de l’objet d’amour œdipien, il y aurait également une cristallisation des besoins narcissiques sur l’objet élu.

Cet envahissement narcissique est peut-être d’autant plus compréhensible depuis la découverte freudienne de l’inconscient, puisque cet inconscient nous renvoie particulièrement à l’imaginaire, avec comme corollaire le principe de plaisir, et aussi au narcissisme primaire du nourrisson.

Cette constatation ramène d’ailleurs à cette idée selon laquelle nous cherchons à tout prix à retrouver l’unité archaïque et à supplanter le manque terrifiant résultant de la séparation d’avec la mère.

Cela explique que dans la passion amoureuse adolescente, le sujet met l’objet aimé au lieu et place de lui-même ; c’est donc lui-même dont il est amoureux dans l’amour de l’autre prétendu ; et c’est pourquoi LACAN a toujours considéré que l’amour plaçait le psychisme du sujet amoureux dans la plus grande confusion.

Le «pur amour», celui des mystiques par exemple, qui est le plus déraisonnable, est précisément cet amour inconditionnel qui risque, dans la perte de soi-même, d’annihiler toute jouissance et virer à une forme de masochisme qui fixerait la passion amoureuse sur la pulsion de mort.

C’est souvent ce qui arrive à l’adolescent qui surinvestit les affects ressentis.

L’adolescent amoureux est à la fois dans la magnificence de lui-même et dans le rejet des parents, anciens objets d’amour, ce qui le rend ambigu ; et il faut ajouter à cela qu’en tombant amoureux d’un nouvel objet, il lui donne également le phallus, c’est-à-dire la toute puissance imaginaire.

Ainsi, l’amour adolescent deviendrait alors rupture avec soi-même dans un renversement des choses inattendu et c’est peut-être là tout le risque des amours adolescents.

Pour que cet amour devienne vrai, encore faudra-t-il non seulement qu’il trouve son fondement originaire dans l’imaginaire primordial, mais encore qu’il soit également ancré dans le sacré, dans une forme de pacte qui va se trouver à la croisée des chemins entre l’imaginaire et le symbolique.

C’est une forme de retour au principe de réalité qui doit conclure la période de l’adolescence pour donner au sujet une construction complète, et viser à ce que FREUD appelait «l’amour génital.»

Mais il semblerait que ce but soit de plus en plus retardé, notamment à l’ère du numérique, où le monde virtuel obsède bien souvent les adolescents qui en sortent difficilement. Les adultes eux-mêmes en deviennent de la même façon les victimes, à l’occasion des ruptures amoureuses de leur vie, lorsque les réseaux sociaux leur renvoient les mêmes problématiques, les mêmes conflits entre le réel et l’imaginaire.

LACAN parle de « don actif » c’est-à-dire d’une forme de reconnaissance par le sujet amoureux du manque qu’il va devoir accepter, car l’amour n’est jamais satisfaction totale du désir ; il peut au contraire attiser un désir inassouvi. – Jean-Paul RICOEUR : Lacan-l’amour in Psychanalyse 2007 N° 10 pages 5 à 32

Ainsi, dans l’absolu, au cours de cette adolescence toujours tourmentée, toujours à la recherche d’une stabilité du lien à l’autre, le sujet devrait parvenir à édifier ses relations amoureuses autrement que sur ses besoins archaïques et son ancien désir œdipien, au point d’appréhender sa vie d’adulte sous une alliance sexuelle et affective lui permettant d’atteindre un bonheur qui ne soit pas seulement la somme des imagos de l’enfance.

C’est sans doute ce qu’on appelle la génitalité, peut-être l’une des notions freudiennes les plus inatteignables.

C’est ce que l’on va rechercher un peu dans l’expérience de l’analyse lorsque la parole va intervenir comme une révélation de soi-même et une réalisation de nos propres manques.

L’amour, comme la psychanalyse, serait donc l’une des voies de réalisation de l’être, de même que l’amour courtois, comme LACAN aime à le souligner, visait au moyen-âge à aborder l’objet aimé par le manque, puisque la séduction, par la patience qui lui est demandée, doit emprunter les arcanes poétiques chantés par les troubadours.

Force est donc de faire une distinction désormais classique entre l’amour et le désir : si le désir vise à la satisfaction, donc à l’avoir, l’amour vise à l’être. On sort sans doute de l’adolescence le jour où ce schéma devient nouvelle perspective.

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