Les lecteurs qui me suivent connaissent l’intérêt que j’ai toujours développé autour des notions d’amour et de rupture dans la psyché humaine, ce qui m’a valu d’ailleurs ma certification auprès de la Fédération Freudienne de Psychanalyse.
Je voudrais aujourd’hui insister sur l’élaboration de ces mêmes émotions dans le strict cadre thérapeutique, au cours de la cure, dans la relation particulière qui unit le patient et l’analyste.
Le 6 décembre 1906, FREUD écrivait à JUNG : « La psychanalyse est une guérison par l’amour. Il y a donc aussi dans le transfert analytique la preuve la plus forte, la seule inattaquable, que les névroses dépendent de la vie amoureuse ».
Si les névroses dépendent de la vie amoureuse, comme FREUD nous l’enseigne, c’est étonnamment par ce même amour que la névrose pourra être traitée. Au traumatisme de l’amour, au chagrin d’amour, à la répétition des amours rompus et obsessionnels, le transfert psychanalytique va répondre par une réaction en miroir, appelée à devenir vecteur de guérison.
Le transfert analytique est sans doute la découverte freudienne la plus importante au plan technique et qui justifie l’appellation de métapsychologie, car le transfert est une communication d’inconscient à inconscient entre l’analysant et l’analyste. C’est la reconnaissance de part et d’autre que l’inconscient du patient est le lieu d’un savoir ignoré de lui, et que l’analyste a pour tâche d’interpréter.
FREUD explique dans son abrégé de psychanalyse : « le transfert devient la véritable force motrice de la participation du patient au travail analytique ».
La force de la psychanalyse dans la perspective que FREUD lui a donné est d’écouter la parole du patient de manière non orientée, en se soustrayant à son regard, au point de faire du patient lui-même son principal instrument de guérison, ce qu’aucune médecine n’avait fait jusque là. L’analyste, bien que formé, est dépourvu de toute fonction de « supposé sachant » au point que l’analysant demeure face à lui-même, dans la responsabilité qui lui a été ainsi donnée d’élaborer autour de son mal-être, de la souffrance qu’il est venu soumettre à l’analyste, et qui va se trouver modifiée, réformée, reformulée de séance en séance.
Il n’est toutefois pas complètement livré à lui-même grâce au miroir que l’analyste lui tend.
Au-delà de l’effet cathartique de la parole, l’élaboration du patient va permettre d’actualiser les conflits de l’enfance et de les faire revivre d’une certaine manière en les transférant sur la personne de l’analyste : séduction, amour et haine, sont les affects purement œdipiens qui seront rejoués dans le discours analytique avec comme but, la nécessité de la rupture avec l’analyste, comme l’enfant, à la fin de la période œdipienne, s’est trouvé dans la nécessité de sortir du noyau parental pour accéder à autre chose et tisser de nouvelles relations d’objet.
En affirmant cela, FREUD ne revendique pas l’invention d’un moyen curatif particulier car ce principe du transfert est en définitive à l’origine de toute vie amoureuse, comme chacun d’entre nous peut le constater par sa propre expérience, et le transfert analytique va s’emparer de ce processus psychique naturel pour en faire un instrument de la thérapie.
Comment transfert et contretransfert fonctionnent-ils ?
Par la situation thérapeutique créée, (position allongée, soustraction au regard de l’analyste, libres associations du patient sans interruption ou jugement quelconque), le patient est placé dans une position de régression qui doit lui permettre de retrouver un passé inaccessible autrement et d’explorer librement son inconscient.
L’élaboration du patient va certes dans un premier temps avoir un effet cathartique qui permettra aux éléments refoulés de revenir à la conscience, entraînant une remémoration, parfois un rabâchage visant à un soulagement, un peu à la façon dont on retire une écharde qui aurait pénétré dans la chair et dont on aurait conservé pendant des jours entiers la douleur latente à laquelle on se serait progressivement habitué mais dont la gêne était néanmoins constante.
Mais l’originalité de la cure, est que le transfert ajoute à ce phénomène un « levain » nécessaire à l’évolution de l’analyse, une « force motrice » qui permettra au patient de sortir des phénomènes de répétition, des fantasmes infantiles, et de revenir au principe de réalité.
D’ailleurs à ce titre, le mot transfert est bien choisi dans son sens général de déplacement, voire de transport, (ne parle-t-on pas de transport amoureux… ?) car c’est aussi le transfert de la parole au sein du cabinet du psychanalyste, le transfert de sentiments auxquels on ne s’attend pas toujours, qui va organiser la libre association et entraîner la chaîne des signifiants.
Le cadre analytique proposé par FREUD est tout à fait favorable à cette réaction, car le patient allongé se trouvant naturellement en situation de régression (position soumise et dépendante du malade), peut ainsi plus facilement connaître des réactions émotionnelles intenses. La parole doit laisser émerger le fantasme inconscient.
La présence de l’analyste dans son dos, ce qui interdit aux regards de se croiser, remet le patient dans ce passé refoulé où, dans sa petite enfance, il était à la fois sous la protection et l’amour des parents, mais également dans la frustration naturelle que l’on impose à un enfant : interdiction de l’inceste, frustration du au complexe de castration ; tous ces phénomènes communs à l’enfance œdipienne se rejouent à l’occasion de l’analyse.
Le transfert est donc bien caractérisé par une relation d’amour infantile sur la personne de l’analyste, et n’est que la transposition d’une relation ancienne qui ramène le patient à répéter le refoulé.
Le rôle de l’analyste, dans son interprétation, sera d’amener progressivement le patient à comprendre qu’il se trompe de temps et d’objet d’amour, que le sentiment qu’il déploie dans l’espace de l’analyse n’est qu’une illusion dont il doit se débarrasser, et qu’il doit réserver le rétablissement de ce sentiment amoureux à la vie réelle, une fois la cure achevée.
Cet amour qui se développe selon les prototypes de l’enfance est une fausse liaison, une mésalliance dont la cure vise à éloigner le patient, et c’est pourquoi l’analyste doit être très attentif à son contretransfert, c’est-à-dire aux actions inconscientes qu’il pourrait lui-même avoir envers son patient, et qu’il pourrait être amené à montrer s’il était inattentif. Sa propre analyse de même qu’une supervision régulière doivent l’y aider.
Cela passe bien sûr par l’abstinence du praticien vis-à-vis de son patient pour éviter que la frustration ressentie par celui-ci puisse se faire revendicatrice et s’installer dans l’érotomanie ; il faut se souvenir que certains patients souffrent d’une limitation de leur capacité d’aimer du fait des fixations infantiles, et un contretransfert mal dirigé pourrait au contraire faire obstacle à l’évolution de la cure, tout particulièrement pour des patients souffrant d’amours déçus et traumatiques.
L’analyste, par la manière dont il dirige la cure, par la plus ou moins forte empathie qu’il va déployer à l’égard de son patient, dispose donc d’un instrument thérapeutique de précision qu’il va pouvoir utiliser à propos, en temps et en heure, selon la temporalité du patient.
Cette empathie naturelle doit, selon Eric RUFFIAT, « s’immerger dans les manques de l’analysant » pour lui permettre d’observer « que c’est à partir de ce point qu’il n’a pu résoudre son problème et donc n’a pu apprendre »
Ainsi l’empathie transférentielle de l’analyste fera office de levier en fonction des besoins du patient. L’affect du praticien et donc son propre transfert, doit être consciemment maitrisé alors que le transfert du patient envers son analyste demeure toujours inconscient.
Et surtout, cette empathie ne doit pas atteindre une forme d’identification projective qui ne pourrait qu’illusionner le patient et brouiller le chemin de la cure. C’est précisément cette maîtrise, cette position à la fois défensive et dynamique de l’analyste qui lui permettra de comprendre la communication primitive du patient.
Un analyste qui ne saurait pas dominer ses affects à l’égard de son patient et demeurerait trop chaleureux à son égard, pourrait empêcher également ce dernier de développer un transfert hostile qui peut être tout aussi utile au développement de la cure.
Dans cette théorie, on voit déjà le bénéfice tout particulier que le patient, en échec de relations amoureuses mal vécues, culpabilisé par des ruptures successives, et angoissé par un avenir amoureux hypothéqué par des répétitions constantes, va pouvoir trouver dans le lien transférentiel.