Le complexe d’Oedipe dans la société contemporaine

Ce concept a été largement traité et débattu par toutes les chapelles psychanalytiques et reste encore le fer de lance de la discipline, du moins au sein des analystes freudiens, même s’il a connu quelques oppositions larvées chez les  contemporains de Freud : Otto Rank et Alfred Adler par exemple n’y ont jamais accordé d’importance particulière…

Dans la démocratisation de la science psychanalytique des années 1970-1980, le complexe d’œdipe a connu au contraire une telle popularité que les clichés retenus par le grand public sont devenus insipides : il faut que les enfants « passent » leur œdipe, ou le « liquident » selon les expressions employées et l’on met en garde les mères contre des petits garçons « trop dans les jupes maternelles » et des petites filles qui veulent « se marier avec papa ».

La période la plus récente a vu  s’ancrer dans la société des couples homosexuels en revendication d’enfants, et c’est une réalité que la psychanalyse doit prendre en considération aujourd’hui pour réexaminer la valeur du concept.

Mais peut-être faut-il, avant de tenter de réactualiser un sujet comme celui-là, examiner l’arrière plan de la situation œdipienne, que l’on a souvent occulté,  exposé par Freud dans son ouvrage « trois essais sur la théorie sexuelle » et dans lequel il est ouvertement question de sexualité infantile, ce qui était dans la société viennoise très corsetée de l’époque, une révolution insupportable.

Cette révolution, est-elle mieux supportée aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr…

On vit parfois encore avec cette image romantique de la pureté de l’enfant dont on pense qu’il ne ressent  d’émois sexuels qu’à compter de la préadolescence…

Or Freud assène que dès sa naissance, l’enfant est un petit être qui jouit des caresses de ses parents, qui ressent du plaisir par tous les pores de sa peau, ce qui fait de lui un pervers polymorphe,  à la fois effrayé et tenté par les ressentis multiples qui sont les siens : l’enfant qui tète sa mère se trouve à la fois dans la nécessité de se sustenter mais également dans la première découverte du plaisir oral…

C’est donc bien dans une relation charnelle qu’il faut envisager le complexe d’œdipe sans se cacher la réalité d’un enfant en recherche de plaisir, à la fois séduit par ses parents et effrayé par ses propres désirs.

C’est pourquoi il va bien falloir que cet enfant désexualise le corps de ses parents et s’ouvre au monde pour respecter la règle de prohibition de l’inceste, règle universelle décrite notamment par Claude Lévi-Strauss, et retrouvée  dans toutes les civilisations et à toutes les époques de l’évolution de l’humanité.

Car c’est cela l’œdipe : une relation triangulaire au sein de laquelle l’enfant va devoir trouver sa place, respecter la relation personnelle de ses parents, s’en extraire, la sublimer, sortir de sa jalousie naturelle et donc de son narcissisme primaire.

Cela se fera par le refoulement naturel des émotions vécues entre l’âge de deux ans et cinq ans environ,  et ce n’est pas par hasard que l’entrée à l’école primaire se fait à la fin de cette période car l’enfant aura trouvé alors l’ouverture et la concentration nécessaires pour s’intéresser  à autre chose qu’à ses parents.

Alors en définitive, comment réactualiser la valeur du complexe d’œdipe pour sortir des sentiers battus et des images hasardeuses ?

Est-il un mythe, un fantasme, une réalité ou un concept ? Sans doute tout cela à la fois !

C’est un mythe si l’on en reste à la tragédie de Sophocle qui nous rapporte qu’œdipe  a finalement tué son père et s’est marié avec sa mère, ce qui donne la marque d’une destinée infantile universelle à laquelle l’enfant n’échappe pas car c’est une épreuve initiatique d’ouverture à la vie, et il ne peut le faire qu’au sein d’une relation triangulaire.

C’est un fantasme qui agit dans les tréfonds de l’être humain  car  non seulement il n’est effectivement pas démontrable scientifiquement, mais également le refoulement  des ressentis de la petite enfance ne permet pas  d’en conserver des traces très précises, et nous sommes donc tous contraints d’en faire le deuil souvent douloureux.

C’est aussi tout de même une réalité car chaque patient sur le divan est capable malgré tout d’analyser avec une sensibilité saisissante et vivante les rapports qu’il a entretenus avec ses parents dès les premiers moments.

C’est surtout pour l’analyste un concept qui permet de relever les névroses des patients tant il est vrai que la relation œdipienne va se rejouer dans le transfert psychanalytique, ce qui confirme la règle freudienne selon laquelle « le complexe d’œdipe est le noyau de toutes les névroses ».

A partir de ces quelques constatations, peu importe, semble-t-il, que l’enfant soit élevé entre deux parents hétérosexuels, ou homosexuels : le débat instauré par les anti-œdipiens devient vide de sens car entre deux parents de même sexe, il y en aura toujours un qui sera plus maternant et l’autre plus interdicteur, permettant ainsi à l’enfant de désexualiser ses parents et de sortir d’une relation fusionnelle tant avec l’un qu’avec l’autre.
Plus difficile sans doute est la position de l’enfant issu d’une famille dite monoparentale ; lorsqu’une personne (homme ou femme) s’occupe seule d’un enfant, on peut effectivement craindre que ce dernier sorte plus difficilement de la fusion naturelle qu’il peut avoir avec son parent, et c’est précisément cette situation, malheureusement de plus en plus fréquente, qui justifie la théorie de l’œdipe, « concept le plus crucial de la psychanalyse » selon Juan-David Nasio.

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