Le sentiment amoureux, la rupture amoureuse et le chagrin d’amour sont sans doute les sujets les plus fréquemment abordés au cours d’une psychanalyse alors même que ces deux notions ne font pas véritablement partie du vocabulaire psychanalytique.
L’amour chez Freud
Freud ne parle pas d’amour, mais il traite de l’affect, du traumatisme, du narcissisme, et d’autres notions adjacentes qui permettent de comprendre cette difficulté de vie et de l’appréhender à la mesure de chacun et du manque à vivre qu’il entraîne.
Que ces notions soient la cause de la prise de contact avec l’analyste, ou qu’elles surviennent au décours de l’analyse, elles sont toujours présentes au cœur de nos vies, et le thérapeute se doit de pouvoir l’entendre et d’apporter les réponses nécessaires, qui ne seront pas forcément les mêmes selon les patients et la narration des ressentis.
Car l’amour rompu laisse le sujet blessé, mort à lui-même, en bordure de sa vie et de son centre, délaissé…, comme s’il était renvoyé à « la case départ », à l’origine même de sa souffrance initiale ; c’est encore raté ; c’est l’éternel recommencement.
De l’amour à la rupture
La rupture survient en effet avec la même force, la même soudaineté par lesquelles l’amour avait envahi le psychisme, et si l’on pouvait établir avec la rigueur scientifique nécessaire une symptomatologie précise des souffrances occasionnées par l’amour, on pourrait s’apercevoir du parallélisme des formes qui existe entre la force des sentiments amoureux et le désastre immense provoquée par la rupture.

Le sujet ressent, de manière générale, une douleur morale intense, qui pourrait s’apparenter à une blessure narcissique : autant le sujet aura été narcissisé par le sentiment de l’amour conquis, autant il sera blessé par l’amour retiré.
L’angoisse ressentie
Cette situation brutale pourra entraîner une perte d’énergie globale, une grande fatigue, une tendance à l’auto dévalorisation et un ralentissement du fonctionnement psychomoteur.
Il y a donc bien, ici encore, un mal-être similaire à l’angoisse ressentie lorsque le sujet se trouve face à la peur d’échouer devant l’amour qui se présente à lui, faute de narcissisme suffisant.
Les symptômes
De même les difficultés de concentration et d’attention, la perturbation du sommeil et la perte d’appétit peuvent surgir tant au moment de la conquête amoureuse révélée, qu’au moment de la rupture ; elles pourraient être de même intensité, comme le coefficient d’une marée descendante sera identique à celui de la marée montante.
Les ressentis somatiques peuvent être réels et il faut ici encore relever les expressions qui parlent : avoir mal au cœur, étouffer, se sentir vidé, étreint, alangui… autant d’expressions qui annoncent l’amour naissant tout autant que la rupture survenant.
L’accélération du rythme cardiaque est le même dans l’amour éprouvé que dans l’épreuve de la rupture.
On est étouffé par l’amour comme on suffoque dans l’épreuve.
La perte de la raison
On se vide de sa propre substance au profit de l’autre dans l’amour, comme on se sent vidé et anéanti par la rupture.
On étreint son partenaire dans l’amour, comme on est étreint par sa disparition.
Les amoureux sont alanguis dans le bonheur fusionnel comme la langueur fatidique apparaît dans le délaissement, et pour être complet, on meurt d’amour comme on meurt de chagrin.
La perte de la raison en amour (qui peut être assimilée à la perte de « l’objet a » dont parle Lacan) peut être comparée au « désordre » occasionné par les névroses et à « l’effroi » souvent évoqué dans les psychoses.
Les tendances suicidaires, les projections morbides sont également des points communs entre amour et rupture, car on se suicide autant par amour, qu’après une rupture insupportable dont on ne peut faire le deuil.
En définitive, l’amour est déjà une rupture avec soi-même, qui annonce une rupture avec l’autre, et l’on arrive à ce point ultime où l’amour naissant et la rupture consommée forment une seule et même souffrance, à les confondre parfois.
Retrouver la sérénité après la souffrance
Rien de pire que cet « amour qui se rit de nos larmes » car s’il suffisait de cesser d’aimer une fois pour toute pour retrouver la sérénité, il y aurait une guérison à espérer ; mais nous savons par expérience que l’amour est intrinsèque à nous-mêmes comme étant lié à notre pulsion de vie, et la volonté n’a guère sa place ici.
La passion, dans son sens étymologique (le verbe latin patio : souffrir), est sans doute ce qui relie ces deux notions d’amour et de rupture dans une même confusion : dans la religion chrétienne, ce terme est d’ailleurs, dans le langage théologique, le signifiant de la souffrance du Christ sur la croix comme étant la conséquence de son amour divin pour les créatures humaines…
Il faut donc prendre en compte cette quasi identité entre le trauma de l’amour et le trauma de la rupture et regarder de près la réaction de chaque sujet face à ce manque à vivre.
En définitive, le travail du psychanalyste devant ce type de souffrance sera d’évaluer l’expression des désirs inconscients et de relever les conflits psychologiques qu’ils entraînent, chaque patient ayant une approche différente du sentiment amoureux, une réaction différente face à l’abandon provoqué par la rupture, selon les éprouvés de la petite enfance.
Jean-François BODET